Poursuite d’activité malgré des pertes : quelles sont les obligations légales des dirigeants ?
Lorsqu’une entreprise connaît des pertes, le dirigeant doit analyser la situation pour déterminer si elle est passagère ou au contraire indicative d’une défaillance du système économique de l’entreprise. En fonction de cette analyse, il aura des obligations légales (déclaration de cessation des paiements, convocation d’une assemblée générale…) ou non. Faisons le point sur les obligations du dirigeant face à une situation de pertes.
Sommaire
Quel est le cadre légal pour poursuivre son activité malgré des pertes ?
En France, plusieurs textes de loi, dont le Code de commerce, régissent la poursuite d’activité d’une entreprise malgré des pertes financières. Ce dernier prévoit que lorsque le dirigeant d’une société a connaissance de la perte significative de ses capitaux propres, il doit dans les plus brefs délais prendre les décisions adéquates pour y remédier. La première étant presque toujours de réunir une assemblée générale extraordinaire des associés pour déterminer les mesures à prendre afin de redresser la situation.
La dernière loi en date pour régir cette situation, la loi n°2023-171 du 9 mars 2023 a assoupli la procédure lorsque les capitaux propres sont inférieurs à la moitié du capital social. En effet la loi n’impose plus automatiquement la dissolution d’une société ayant perdu plus de la moitié de son capital, ce qui va dans le sens d’une volonté de pérenniser l’activité en dépit des pertes. Dans le cas où une société se trouve dans ce cas de figure, le Code de commerce prévoit que les dirigeants doivent décider au cours des quatre mois suivant l’approbation des comptes ayant fait ressortir cette perte significative si l’entreprise doit être dissoute ou si elle peut poursuivre son activité. Cette décision étant prise en fonction de la possibilité ou non de restaurer les capitaux propres et donc surtout afin d’éviter de porter atteinte aux droits des créanciers et partenaires commerciaux.
Enfin, le droit français impose aux entreprises en difficulté qui poursuivent malgré tout leur activité professionnelle (société ou commerçant) de déclarer leur cessation des paiements dans un délai de 45 jours suivant cette constatation. La cessation des paiements correspond au moment où une entreprise n’est plus en mesure d’honorer son passif exigible avec son actif disponible. Les dirigeants qui ne respectent pas cette obligation s’exposent à des sanctions pouvant aller jusqu’à leur engagement personnel sur les dettes sociales.
Les obligations de transparence et de communication
Lorsque les dirigeants d’une société rencontrent des difficultés financières, ils ont de nombreuses obligations en termes de transparence et de communication vis-à-vis des actionnaires, créanciers, salariés, etc. L’objectif est que toute personne concernée ait une image la plus claire et sincère possible de la situation financière de l’entreprise et des mesures mises en œuvre pour résorber les pertes.
La principale obligation de transparence est bien évidemment la publication des comptes annuels qui doivent être approuvés par l’assemblée générale des actionnaires. Ils doivent traduire la situation réelle du patrimoine et des finances de l’entreprise : ils doivent donc faire apparaître les pertes subies ainsi que les mesures envisagées pour y remédier. Les dirigeants devront également rendre compte régulièrement aux actionnaires sur l’évolution de la situation et les résultats obtenus grâce aux actions entreprises.
Il est également obligatoire d’insérer un avis dans un journal d’annonces légales contenant certaines mentions comme : dénomination sociale, forme sociale, capital social, adresse du siège social, numéro SIREN ou RCS… La publicité de cette décision a une double finalité de mesure de transparence et de protection des créanciers. Une attestation de parution sera à fournir au greffe. Par ailleurs, il est particulièrement important que les dirigeants d’entreprise mettent en place une communication régulière et sincère avec leurs créanciers. Négociation pour une restructuration de la dette ou mise en place d’un étalement des paiements sur plusieurs mois… Les dirigeants sont incités à communiquer leur situation aux créanciers comme aux fournisseurs ! Il sera également nécessaire d’informer les salariés sur la situation rencontrée par la société notamment si elle est susceptible d’impacter leur emploi ou leurs conditions de travail. La mesure la plus sûre reste évidemment une communication transparente qui permet d’éviter la panique et assure le maintien d’une certaine confiance envers les parties prenantes comme auprès des tiers.
Le processus décisionnel des dirigeants et les conséquences sur leur responsabilité
Lorsqu’une société rencontre des difficultés financières, le processus décisionnel des dirigeants prend une importance particulière. En effet, ils doivent non seulement considérer scrupuleusement toutes les options qui s’offrent à eux pour tenter de redresser la situation de l’entreprise (réduction des coûts, recherche de nouveaux financements, réorganisation de l’entreprise…), mais également se conformer à certaines obligations légales. Ainsi, par exemple, les associés ont l’obligation de convoquer une assemblée générale extraordinaire (AGE) dans les quatre mois qui suivent l’approbation des comptes. Ils doivent statuer lors de cette AGE sur la poursuite ou la cessation de l’activité de la société, sous peine que la régularisation ne soit effectuée par un tiers et que la responsabilité du dirigeant engagé à cet égard.
Les dirigeants ont ainsi une obligation fiduciaire qui les oblige à protéger les actifs de la société et à prendre des décisions qui ne mettent pas en péril la viabilité de l’entreprise. De plus, ils doivent obligatoirement consulter les associés pour décider d’une éventuelle cessation d’activité, sous peine d’encourir des sanctions pénales (emprisonnement et amende). Il est donc souvent recommandé de consulter des experts financiers et juridiques afin de s’assurer que les décisions prises sont appropriées, légales et en conformité avec toutes lois et réglementations applicables.
De plus, en cas de sérieuses erreurs dans le processus décisionnel ou si les dirigeants prennent des décisions imprudentes pour l’avenir financier de la société, ils peuvent être tenus personnellement responsables des dettes contractées par celle-ci. C’est pourquoi il est important d’être diligent et prudent dans le processus décisionnel. Par ailleurs, il convient également que les dirigeants conservent un dossier documentant leurs décisions et les raisons qui motivent celles-ci afin de se défendre contre un éventuel reproche de mauvaise gestion. Enfin, évaluer sa situation financière et s’engager au besoin dans une voie de régularisation constitue une obligation légale du dirigeant.
Les conséquences à poursuivre l’activité de la société malgré des pertes
Poursuivre l’activité de la société malgré les pertes peut avoir des conséquences positives comme négatives. D’un côté, cela va permettre d’ouvrir une porte au redressement et au retour à la rentabilité, si tant est que les dirigeants soient capables de déployer les mesures nécessaires pour surmonter les difficultés. De l’autre, le maintien de l’activité dans un contexte de pertes financières pourrait aggraver la situation si les mesures de correction ont été mal choisies ou insuffisantes. Les conséquences peuvent être également toute négatives : dégradation de l’image de la société, refus d’investissement, réduction des délais de paiement par les fournisseurs…
Les risques sont nombreux : dégradation de la confiance des créanciers et des investisseurs qui ne seront plus enclins à vous apporter du financement si nécessaire. Vous continuez à perdre de l’argent et vous accumulez les dettes ? Vous risquez alors d’être rattrapé par vos créanciers qui pourraient engager une procédure judiciaire à votre encontre (demande en mise en redressement judiciaire ou en liquidation…). Si votre entreprise n’est pas capable de régulariser sa situation, elle sera dissoute et la responsabilité des dirigeants engagée.
Les dirigeants doivent également prendre en compte le sort réservé aux salariés : ces derniers vont vivre une période d’incertitude quant à leur emploi et leurs conditions de travail. Une mauvaise gestion de cette crise entraîne une démotivation du personnel, une perte du moral et donc de la productivité qui pénalise toute la société… Pour toutes ces raisons, il est important pour les dirigeants d’analyser tous les risques encourus avant d’opter pour le maintien de l’activité malgré les pertes.
Les stratégies et mécanismes permettant de rétablir la situation financière
Pour restaurer la santé financière d’une société en difficulté, le dirigeant pourra s’appuyer sur plusieurs leviers. En voici quelques-unes des stratégies et des mécanismes les plus fréquents :
- La restructuration financière : il s’agit de renégocier les dettes financières auprès des créanciers pour en modifier les conditions de remboursement (échéances, taux, etc.). La restructuration financière pourra également consister à rechercher de nouveaux investisseurs ou partenaires financiers susceptibles d’apporter de nouveaux financements à l’entreprise.
- La révision du modèle économique : la réduction des coûts et l’amélioration de l’efficacité opérationnelle peuvent également contribuer à redresser la santé financière d’une entreprise. Cela pourra consister par exemple à réduire l’effectif salarié, renégocier à la baisse les contrats avec les fournisseurs ou fermer les branches d’activité non rentables.
- L’innovation et la diversification : enfin, pour accélérer la croissance et augmenter le chiffre d’affaires, le dirigeant pourra également rechercher de nouvelles opportunités commerciales quant aux produits ou services proposés par son entreprise.
En parallèle de ces différents types de stratégies mises en œuvre pour restaurer la santé financière d’une entreprise en difficulté, il conviendra également que le dirigeant prenne les mesures nécessaires pour disposer d’outils lui permettant de gérer sa société en état de crise. Ces outils seront destinés à suivre l’évolution de la performance et lui permettront d’adapter ses stratégies proposées en fonction des résultats obtenus. On peut citer notamment :
- Le plan détaillé de redressement financier : il s’agit ici d’un document qui précède et justifie l’ensemble des actions à mettre en place pour rétablir la santé financière de l’entreprise. Il va définir les différentes étapes envisagées dans le cadre du processus et indiquer le timing ainsi que les objectifs visés (notamment chiffrés).
- Le tableau de bord financier : il constitue un outil stratégique pour suivre l’évolution de la performance globale, détecter les problèmes rencontrés par telle ou telle branche et identifier tous les axes possibles d’amélioration.
Afin d’augmenter le taux de succès du processus mis en place pour restaurer la santé financière de son entreprise, il est enfin important que le dirigeant implique toutes les parties prenantes dont elles soient actionnaires ou non. Pour ce faire, il est important qu’il communique régulièrement sur les difficultés rencontrées par son entreprise afin qu’elles mesurent bien toute l’étendue des enjeux financiers potentiels. Il peut également être nécessaire au cas par cas qu’il leur demande expressément leur soutien afin que toutes les parties prenantes puissent se mobiliser face aux obstacles rencontrés.Les difficultés financières rencontrées par une société peuvent être telles qu’une AGE (Assemblée Générale Extraordinaire) doit être convoquée afin que certaines décisions puissent être prises collectivement. Ledit ordre du jour doit alors être repris dans un procès-verbal qui pourra ensuite faire l’objet d’une publication en ligne via une annonce légale afin que celle-ci soit opposable aux tiers.La mise en œuvre conjointe des actions précédemment citées va ainsi permettre au dirigeant d’accroître fortement ses chances de succès dans le processus engagé pour restaurer la santé financière de son entreprise.
Il est donc essentiel qu’il élabore une stratégie claire, dispose des outils nécessaires pour gérer sa société en état de crise et communique efficacement avec toutes les parties prenantes afin de surmonter cette période difficile.Dans ce contexte économique incertain et délicat voir même hostile auquel bon nombre d’entreprises sont confrontées actuellement, il sera primordial que le dirigeant garde sereinement confiance dans le potentiel inexploité et ainsi éviter un dénouement fatal face aux difficultés financières qui peuvent parfois paraître insurmontables